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Il est, selon Dieu même, une sainte tristesse ;
Elle habite toujours où règne la sagesse.
Il est une humble joie, une chaste gaîté,
Dont la douceur s’allie avec la gravité,
Et qui semble de l’âme, expansive et modeste,
L’épanouissement, l’expression céleste :
Cette austère gaîté, qui ne raille jamais,
Autour d’elle répand un doux parfum de paix ;
Gracieuse et sereine, elle a pour se traduire,
Dans sa gravité même, un suave sourire. —
Mais le rire frivole à tout homme est fatal :
Ah ! garde sur ton front le deuil sacerdotal !
La tristesse du Christ appartient au Lévite,
Que le monde rieur le recherche ou l’évite !
Le monde adroit pardonne au prêtre lâche et vain,
Et son rire profane, et son esprit mondain ;
Mais il craint le regard du grave évangéliste ;
Son front pâle et rêveur l’inquiète et l’attriste ;
Le vrai prêtre, à son gré, regarde de trop haut :
U voudrait façonner le clergé qu’il lui faut ;
Dépouillé de l’esprit du royal sacerdoce,
Il voudrait l’animer d’un esprit de négoce. —
Un prophète l’a dit : « tel peuple, tel clergé. »
Le prêtre qui le flatte est par lui protégé :
Le saint prêtre, il l’estime, il l’admire peut-être ;
Mais il ne l’aime pas, et l’immole au faux prêtre !
Son silence lui semble un reproche importun :
C’est le rire qu’il aime, et c’est l’esprit commun. —
Ô mortels avilis, qui cessant d’être graves,
Pour égayer le monde, imbéciles esclaves,
De vos fronts effaçant le signe de la Croix,
Semblez si différents des chrétiens d’autrefois !
Mortels, anges déchus, ô prêtres de la prose,
Ô vous par qui la chair reçoit l’apothéose ;
Ô vous qui dénoncez l’imagination,
Qui troublez dans son ciel la contemplation ;
Ô vous, chiffreurs glacés, qui poursuivez d’envie,
Au nom d’un siècle actif, l’esprit de rêverie ;
Hommes pleins de science, hommes pleins de bon sens, —
Ayez donc le bon sens de n’être pas plaisants !
Hommes si pleins d’esprit, — du vain esprit de plaire, —
Ayez un seul esprit, — c’est de ne pas en faire ! —
Ô de l’esprit mondain, triste démangeaison !
Ô triste vanité des hommes de raison !
Le long rire éclatant, les froides ironies,
Les sarcasmes amers et les bouffonneries,
Les futiles propos et les scurrilités,
Ont fait fuir loin de nous les Anges contristés ! —
 Ô sainte gravité, qu’es-tu donc devenue ?
Douce vertu du temple, à nos temps inconnue ;