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Le Monde et le Désert.

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Viens, prêtre du Seigneur, ascète évangélique,
Harmonieux apôtre, au cœur mélancolique :
Le monde est aujourd’hui ce qu’il fut autrefois ;
Esclave de Satan, il suit les mêmes lois. —
Ce qu’il faut pour l’aimer, ce n’est pas de la force,
Mais il faut avec Dieu faire un lâche divorce !
En vain, dans ses plaisirs, l’homme cherche un appui ;
Il trouve, au fond de tout, l’inexorable ennui ;
Et celui qui le sert tombe de chute en chute,
Et ne s’arrête enfin qu’au niveau de la brute !
Là, dans le tourbillon, où brille chaque esprit,
Pour étourdir son âme, on s’amuse avec bruit ;
Et l’on entend partout le blasphème et le rire, —
Ce rire de l’impie impossible à décrire ! —
Le rire ! — On a parlé du rire des faux dieux,
De ce rire homérique inextinguible aux cieux ;
On a parlé souvent du rire Satanique,
Du rire épicurien et du rire cynique ;
Du rire impie et froid de Voltaire et Byron ;
Enfin, du rire fou, qu’excite le Démon :
Mais qui parla jamais du rire évangélique ;
Du rire au Christ appris par Marie angélique,
Ou par l’Ange transmis au prêtre angélisé ;
Du rire enfin chez nous sacerdotalisé ? —
Ah ! la tristesse est sainte et le rire est profane !
Le rire nous abaisse et la tristesse plane !
Les Anges ont pleuré, mais il n’ont jamais ri !
Par le rire aujourd’hui chaque cœur est flétri !
Le rire a détrôné la gravité chrétienne !
On voit partout régner une gaîté* païenne ;
Et même le Lévite… Ah ! voilons-nous de deuil,
Puisque du sanctuaire il a franchi le seuil ! —
Dans le rire du monde éclate sa folie ;
Le Sage a le front ceint de la mélancolie ;
Le Christ est du chrétien le modèle sacré :
Le Christ n’a jamais ri, mais triste il a pleuré !