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Parcours, en méditant, toute la Thébaïde,
Jusqu’au sable inondant la Grande Pyramide ;
De l’immense vallée, où déborde le Nil,
Jusqu’à Pathmos, où l’aigle a vécu dans l’exil ;
Interroge les monts, pénètre au fond des grottes,
Ils te diront les noms de leurs célestes hôtes !
Tu pourras écouter, aux pieds du sphinx assis,
Sur ces hommes de Dieu de merveilleux récits ;
Et fort de leur exemple, en relevant la tête,
Tu chercheras comme eux la paix dans la retraite !
Qu’importe, ô mon enfant, qu’on t’appelle insensé :
Par le monde, quel saint n’a pas été froissé ?
Tu seras, à ton tour, accusé de folie ;
Mais c’est là le destin de toute âme choisie ;
Suis l’exemple des Saints ; pour toi, comme pour eux,
Le chemin le plus sûr, c’est le plus épineux !
Au milieu des clameurs, des reproches, du blâme,
Réalise, comme eux, le rêve de ton âme :
Nul n’a ravi la palme en moissonnant des fleurs ;
L’homme n’arrive au bien qu’en passant par les pleurs ;
Le Thabor lumineux touche au sombre Calvaire :
Quel homme indépendant fut jamais populaire ?
Si tu cherches le bien, si Dieu marche avec toi,
Si tu te sens guidé par un esprit de foi,
Si le Vrai, si le Beau, si l’Idéal t’inspire,
Par ces souffles divins, oh ! laisse-toi conduire !
La passion du Beau n’a jamais égaré :
Heureux le cœur en qui brûle le feu sacré !


le poète.


Pour me désenchanter, ô Nature, ma mère,
Les hommes froids ont fait tout ce qu’ils ont pu faire ;
Ils m’ont prédit un âge, où je serai comme eux ;
Où mon âme, perdant ses élans généreux,
Son poétique instinct, sa candeur virginale,
Descendra des hauteurs de la sphère idéale ;
Où me sentant glacé par la réalité,
Je serai ce qu’ils sont, comme eux désenchanté !


la nature.


À ces hommes, mon fils, à ce qu’ils pourront dire,
À leurs cris discordants, réponds avec ta lyre !
Ils ne savent donc pas, qu’il est de beaux enfante
Qui ne peuvent vieillir ; qui sortent triomphants
Des épreuves du monde ; et qui, malgré ses fanges,
Se gardent jusqu’au ciel aussi purs que des Anges ?
Ils ne savent donc pas, ces lâches insensés,
Qu’il est des cœurs si forts, que, mille fois blessés,