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En lui, le ridicule égale l’impudence,
Et sa vanité seule a fait sa compétence !
Les vains admirateurs et l’Éditeur plus vain
Ne formeront jamais un tribunal divin ;
Et l’objet adulé de leur idolâtrie
Ne sera jusqu’au bout qu’un dieu de coterie !
Et quelque soit le nom que se donne ce dieu,
Ce démagogue impie ou dévot boute-feu,
Soulevez bien son masque, et regardez sa face :
D’un horrible Démon vous verrez la grimace !
Plus lâche qu’Asmodée et plus vil que Mammon,
Le Démon de la Presse est le plus laid Démon !…
Tu ne fais rien, ô Presse, et ne peux rien défaire :
En ta vaine louange ou ta folle colère,
Tu n’as fait ni défait tous les grands Immortels,
À qui le genre humain éleva des autels !
La vertu généreuse et le calme génie,
Dominant tous les flots de l’impuissante envie,
Sur un char de triomphe, à travers tes clameurs,
Couronné de lauriers, ravira tous les cœurs !…
Qui ne se souvient pas de l’époque récente,
Où le front rayonnant d’une aube éblouissante,
De son berceau de fleurs on vit Hiawatha
Se lever et paraître avec Miné-haha,
Quand tout-à-coup la Presse, aveugle en ses alarmes,
Jeta le cri de guerre, et lâche prit les armes :
Mais, insensible aux cris que la presse jeta,
On vit au Panthéon courir Hiawatha
 D’hostiles passions égoïstes apôtres,
Par un faux zèle armés les uns contre les autres,
Le chef-d’œuvre infernal, le fléau des fléaux,
Le châtiment du Siècle, oui, ce sont les journaux !
 Ô frère ! pour ton Dieu, fuis un monde incrédule :
La plus sûre demeure est la sainte cellule !
Ah ! je connais le monde et son esprit moqueur ;
Dans sa froideur railleuse, il glace notre cœur ;
Son âme et son esprit, noyés dans la matière,
N’adorent que l’argent, et n’aiment que la terre ;
Il n’est pas au-dedans ce qu’il semble au-dehors ;
Sous un aspect vivant, c’est le pays des morts ;
Sa vie est une fièvre animale et factice ;
Tout y ravale l’homme et tout l’y rapetisse ;
Poli comme l’acier, et comme lui brillant,
Uni comme la glace, au prisme chatoyant, —
Le monde en son langage et ses belles manières,
Semblable aux feux follets des sombres cyprières,
Nous attire et nous leurre, afin de nous souiller
De sa fange cachée, et de nous dépouiller
De la robe sans tache, en ricanant de joie ;
Oui, pour nous captiver, il nous flatte et festoie ;