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d’écorce, ils avaient fait leur magasin de blé-d’Inde ; là, sous une grossière couverture de chaume, ils puisaient leur foin de l’année ; ailleurs, les patates étaient à l’abri, et, plus loin, dans des constructions ad hoc, ils garaient leur froment, leur sarrazin, leur avoine, leurs semences, leurs volailles, leurs instruments aratoires, etc.

Tout cela constituait leur fortune, et cette fortune était placée sous la garde de Dieu.

Les Robin avaient aussi un chien, un vieux gardien vigilant, bâtard de toutes les races, très laid, très sale, très gros, noir comme l’ombre, rude comme une râpe et triste comme la solitude.

Sa voix rauque troublait seule quelquefois la solennité muette de ces lieux, lorsqu’un chevreuil, aux hasards de sa course errante, un renard flairant des prébendes, ou quelque vagabond passaient près de la ferme endormie, Rateau — c’était le nom du chien — troublait la paix des choses et sonnait l’alarme parmi les clairières endormies.

À force de vivre au milieu de cette forêt, il en avait pris l’âme mystérieuse : il était grave et le plus souvent immobile ; mais l’habitude de ce silence dans lequel sommeillait sa vie lui faisait percevoir les moindres chuchotements des êtres, les moindres frissons des choses. Il s’était érigé le gardien non pas de la ferme seule — elle n’en avait pas besoin — mais du silence de la forêt. Nul n’avait le droit d’y pénétrer, sauf les enfants de ses maîtres, les petits et les petites Robin — sales, déloquetés, crottés, repoussants, mais ravissants quand même. Sauf cette turbulence, Rateau ne permettait à personne d’attenter au recueillement des vieux arbres, et il se dressait, terrible, contre le violateur de