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À ce moment les Robin apparurent. Ils questionnèrent le mendiant, puis examinèrent le chien qui se cramponnait à la vie dans l’espoir de voir les enfants avant d’aller pourrir sur le tas de fumier.

Le père Robin ne dit rien. Seulement il déchargea son fusil bourré de plombs et le rechargea à balle.

— Ôtez-vous, dit-il au mendiant.

L’homme obéit.

Le chien paraissait comprendre. Il regarda ses maîtres, le mendiant pitoyable et oublieux, la forêt sauvage, le ciel infini. Puis il agita la queue, allongea son museau dans la neige et attendit la mort.

Un coup de feu de son maître la lui donna.

Le mendiant, terrifié, éperdu, se sauva comme un voleur.

Son cerveau éclatait.

Depuis qu’il avait connaissance de l’être, il n’avait jamais vu une bonne action. Lui, bon, il avait toujours été repoussé par les hommes, mauvais.

Il n’en connaissait pas d’autres.

Aux hasards de sa vagabonde existence, il s’était épris des bêtes et des choses inanimées. Il était pitoyable et bon, pour tout et pour tous, foncièrement. Il savait que rien n’est exempt de souffrance, ni le corps de l’homme, ni son âme impalpable, ni les animaux, ni les plantes, ni les objets. Il sentait que l’universelle sensibilité se détaille en l’infini des atomes. Il se rendait compte que la douleur du caillou que le chariot écrase équivaut à celle de la chair martyrisée, et que la marguerite qu’effeuillent les amoureux souffre autant de l’arrachement de ses pétales que l’homme souffre de l’arrachement de ses membres.

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Car cet homme était bon et il croyait en Dieu.

HENRI ROULLAUD.