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face du marché Bonsecours. L’endroit était presque désert, le ciel lourd, la bise fouilleuse et agressive, l’eau morne.

Je sentais que la nature fermée se refusait à l’homme, à la bête, à la vie. C’était, enfin, une heure de désenchantement.

Je cherchais vainement quelque espoir dans le ciel d’impitoyable acier bruni. Et sentant que la griffe dure ne voulait pas me lâcher, j’essayais de me consoler par l’esthétique des choses.

Devant moi, Montréal, haletant et silencieux, étale à perte de vue, à droite et à gauche, son flanc immense et enfumé ; à mes pieds, la descente paresseuse du fleuve qui semble s’attarder par moments, avec le regret de n’avoir point une vie à dévorer, et l’amas confus de cordages, de madriers, de ballots, de futailles, de pieux dressés : puis le relent du port, le clapotis des eaux, et là-bas, de l’autre côté, l’île Sainte-Hélène, aux arbres nus emmêlés dans une lueur de pourpre blême, refuge du rêve dans cette misère de la nature qui semblait se désoler de l’étreinte prochaine et inévitable du rigoureux hiver.

Un groupe d’enfants sur la berge, par sa turbulence, par ses cris, par ses appels, par ses éclats de rire, me tira de ma rêverie.



Les petites mains tendues vers l’eau et les pierres que ces polissons jetaient vers le large dirigèrent mes regards sur une tache noire qui suivait le fil de l’eau.

Les gamins rivalisaient de cris, de sifflets, d’encouragements et de joie, criant : « Par ici ! par ici !… le voilà !… » faisant de grands gestes et redoublant d’ardeur dans leurs exercices de balistique rudimentaire.

Le point noir était un fragment de poutre.

Soudain, une boule noire se dessine à côté et se hisse péniblement sur cette étrange bouée.

C’était un pauvre chien efflanqué, cherchant désespérément à se séparer de son instrument de torture ou à flotter dessus. La misérable bête, en