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racines des arbres commençaient à recouvrir. Cela donnait le frisson aux petits gars. Nous évitions de passer par là, et, comme les arbres recouvraient cet endroit d’un épais feuillage, il y avait toujours là pour nous un sombre mystère, où nous croyions voir apparaître le pauvre défunt. D’une année à l’autre, on s’en approchait davantage. Puis on osait regarder le fond de cette fosse béante, certain d’y apercevoir un squelette. Mais je n’ai jamais vu un de nous y sauter, ni même y pousser un compagnon. Ça sentait le mort, et vraiment on avait souleur de passer par là.

Qu’y avait-il de vrai dans cette légende ? Était-ce un souvenir du meurtre de ce colporteur par le docteur l’Indienne, à Saint-Jean-Port-Joli ? Bien certain qu’il y avait là une fosse creusée de main d’homme. Mais, comme elle était tout près du chemin, ne l’avait-on pas creusée pour emplir quelque ornière ? Pas probable cependant ; car, en cet endroit, le chemin du Roi passe sur un banc de sable uni et qui n’exige jamais aucune réparation.

Il est de tradition qu’en 1759 les Anglais, allant à la conquête de Québec, débarquèrent à la pointe de la Rivière-Ouelle, et se mirent de là en marche, brûlant tout sur leur passage. Les habitants se sauvaient dans les bois, enterrant leur linge et leur vaisselle, et chassant devant eux leurs animaux. Cette fosse, à deux pas de l’hôtellerie du Cadran, à l’entrée du bois, ne serait-elle pas une de ces cachettes ?