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54 L’ART THÉÂTRAL MODERNE.

L’étroitesse oppressante des murs de la prison fournit à Gretchen le thème principal du dernier acte, dans la première partie de Faust. Ensuite il cherche un accord de couleurs qui, malgré les allées et venues sur la scène, doit rester beau, et s’harmoniser avec le poème : des tons sombres, lugubres, bruns, pourpres, noirs au fond, éclairés de lueurs tendres et gaies, puis les couleurs sombres viennent au premier plan, pénétrant la lumière. Et soudain, pour le dénouement tragique, l’harmonie devient au contraire pesante et lourde, et dans une expression douloureuse passe du ton majeur au mineur.

SUR « MACBETH »

Où la pièce se joue-t-elle ? Comment concevons-nous le lieu de l’action ? Je vois deux choses : Je vois un roc, et je vois le brouillard qui enveloppe sa cime. C’est-à-dire l’habitation de guerriers, un repaire de fantômes. L’humidité avec le temps rongera le roc, ces esprits chasseront les hommes. Placez un rocher et faites-le monter haut ; et cachez sa cime dans les brouillards. Vous aurez la reproduction exacte de ce que vous vous êtes imaginé.

Quelle sera la forme de ce rocher ? Rappelez-vous les lignes d’un rocher élevé ; indiquez-les, peu importe les détails de pierres. Ne craignez pas de la faire monter haut ; elle ne montera jamais trop. Sachez que sur un bout de papier vous pouvez représenter une ligne qui semble s’élever à des lieues dans les airs ; vous pouvez faire la même chose sur la scène, car tout est question de proportions. Quelles sont les indications que Shakespeare nous a données ? Ne regardez pas la nature d’abord ; commencez par interroger le poète. Il y a deux tons, un pour le roc, l’homme, un pour le brouillard, le fantôme. N’ajoutez pas d’autre ton dans l’exécution de votre ensemble de dessins pour les décors, les costumes, la mise en scène. Modulez seulement dans les deux notes»

Mais le roc et le brouillard ne sont pas les seules choses à considérer. Il faut se rappeler qu’à la base de ce rocher fourmillent les forces terrestres étranges, et que dans le brouillard se dissimulent les esprits innombrables. Pour parler plus techniquement, vous avez à penser à 60 ou 70 figurants dont les mouvements doivent s’effectuer au bas de la scène, et à d’autres personnages qui ne peuvent pas être suspendus à des fils de fer, et qui cependant doivent être clairement séparés des êtres humains et plus matériels. — Il est donc indispensable de créer quelque part une ligne de démarcation, bien nette pour le spectateur. Voici comment vous arriverez : Signes et proportions ayant suggéré la substance rocheuse ; ton et couleur (une seule couleur) donneront l’apparence éthérée