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LE THEATRE RUSSE. 47

Certes Jules César fut joué avec un certain naturalisme historique nécessaire. Mais on s’occupait moins du vêtement et plus de l’âme humaine. Au lieu de l’aspect extérieur des hommes qui vécurent autour de César, c’était leurs âmes ( qu’on voulait pénétrer et montrer.

Ce qui avait été tenté et réussi d’abord pour Tchekov, MM. Stanislavski et Dantchenko essayèrent de le faire pour Ibsen et Hauptman, en simplifiant la décoration, en faisant de chaque œuvre une sorte de symphonie, c’est-à-dire en harmonisant toutes ses parties. La transition s’opéra facilement, grâce à la pièce de Hauptman, les Solitaires, très voisine de celles de Tchékhov. Par la suite, des résultats remarquables furent obtenus avec les œuvres d’Jbsen, auquel le théâtre d’Art ne cesse de revenir. Durant ces dix ans (de 1898 à 1908), 16 pièces (8 d’Ibsen, 5 de Tchékhov, 5 de Hauptman) ont tenu l’affiche pour plus de la moitié des 1732 représentations organisées. Vers la cinquième saison seulement, un écrivain célèbre se révéla dramaturge et vint. ajouter son nom aux trois autres : Maxime Gorki, dont la pièce les Bas Fonds obtint un immense succès. L’année dernière, la mise en scène de l’Oiseau bleu fut très remarquée. L’enchantement du spectacle, raconte un éminent critique, commença dès le lever du rideau.

Une chambre modeste ché^ des paysans belges, où deux enfants sont couchés et dorment. Des visions étincelantes leur apparaissant de l’autre côté de la route, devant la maison, éclairent tout à coup la pièce. Le plafond, les murs, les meubles, lés objets disparaissent en un clin d’oeil, et des milliers de lueurs produisent un effet fantastique. Les décors sont à jour et percés d’une quantité innombrable d’ouvertures d’où jaillit en masse la lumière. Ce débordement de lumière se déverse en tourbillons et crée une impression de lanterne magique. La nappe lumineuse frappe en plein les enfants, jaillit du feu dans le poêle, sort de la pâte du pétrin, anime le pain de sucre, éclaire le chien, le chat, le robinet dont elle fait jaillir l’eau.

Ici la lumière crée une mise en scène fantastique qui dissimule les moyens de réalisation.

Je contemple, l’œil charmé, tandis qu’en moi, mon âme jalouse proteste. Magnifique, sombre, poétique, la forêt du pays des souvenirs — Et tout à coup cette forêt se couvre de brouillard, des tableaux mystérieux surgissent sur la gaze lumineuse : la petite maison, et sur le seuil le grand-père et la grand’mère morte. Sont-ils peints sur