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28 L’ART THÉÂTRAL MODERNE. Max Reinhardt, engagé à vingt ans par Brahm au théâtre de Salzburg, se révéla tout de suite très grand artiste. A Berlin, ses idées originales devinrent vite célèbres ; il faisait partie d’une société, « die Brille », composée de comédiens qui se réunissaient dans une taverne pour composer des chansons. Cette société, devenue plus nombreuse, prit bientôt le nom de «Schall und Rauch» et construisit une salle ; on y représenta des danses grotesques, des parodies de Maeterlinck, Stefan George, etc., puis des satires sociales. En 1901, se fonde le « Kleines Theater » qui combat pour les nouvelles théories. Reinhardt se consacre à ce théâtre ; dès 1903, il y joue Asile de nuit, de Gorki, dont le succès est immense. Toujours le même but : lutter contre le natu- ralisme, mettre la couleur, le décor au service du drame. Quatre victoires sont gagnées en un an : Rausch, Salomé, Nachtasyl, Pelleas und Melisande. En 1905, enfin, il fonda « Das Deutsche Theater », auquel il annexa un petit théâtre intime de 500 places ; trois marches seules séparent les spectateurs de la scène ; de là encore le principe sauf de l’unité entre acteurs et spectateurs. Les idées de Max Reinhardt : nous ne ferons que les résumer ; les réformateurs allemands acceptent tous les mêmes règles. Pour Reinhardt, la pièce de théâtre n’a qu’une âme et qu’un sens : être du théâtre. Elle ne se laisse influencer dans son développement, ni par la littérature, ni par les spectateurs, esthètes ou philosophes. On ne saurait même dire qu’elle ait une « tendance spéciale » ; c’est pour elle-même qu’elle travaille, c’est vers elle-même qu’elle dirige son art et ses efforts. Dans la plupart des théâtres, on tient compte du rapport entre le talent de l’acteur et le rôle qu’il remplit ; de la distance ou du rapprochement des grandes lignes de sa personnalité aux grandes lignes d’un style. — Là, pas de genre, pas de style, pas de grandes lignes. L’œuvre à créer ne doit se soumettre à rien, si ce n’est au théâtre ; il faut émanciper le théâtre, lui donner un but artistique, noble et pur. Cette forme d’art n’aura pas d’organisation systématique, le théâtre ainsi compris devra s’adresser aux sens du spectateur, sans les fatiguer. II convient de traiter les spectateurs comme des « bêtes de proie » : par des soins systématiques, par une nourriture riche et variée, il leur fait vivre une vie florissante, et, lorsque vient le moment où elles semblent repues, leur sage gardien sait, en diminuant les portions, les ramener à leur état normal. Enfin : recherche des grandes formes, des contours qui enveloppent tout, des lignes