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33 L’ART THÉÂTRAL MODERNE. taisie du poète et ignore la démarcation entre les arts plastiques et la poésie. A mon avis, ce serait commettre une énorme faute d’art que de vouloir exprimer la description pratique mais nullement pittoresque, du soleil couchant, du crépuscule qui baigne les montagnes et les vallées par les moyens, soumis à des règles différentes, de la peinture. J’ai voulu montrer les deux silhouettes de Faust et de Wagner sur un ciel rose du soir, puis en suivant les paroles du poème, les faire disparaître dans un gris obscur, avec une impression de printemps à l’ouverture du rideau. Encore un exemple : prenons le monologue : « Sublime Esprit, tu m’as tout donné ! » Je n’attache aucun prix à ce que cette scène se passe exactement devant un glacier : qu’on me montre, si l'on veut, des montagnes boisées, des roches... que m’importe, pourvu que 1’ « errance dans le désert » soit sensible et fasse contraste avec la scène qui suit : Gretchen devant le rouet.

MISE EN SCÈNE DE « FAUST » Pour Faust tout entier il n’a été fait usage que de deux fonds peints, très simples. Le reste a été donné par l’éclairage, avec un fond blanc et un fond noir. La scène médiane se composait des deux fermes du théâtre massives et mobiles. Elles avaient l’aspect de parois en pierres de taille de tons gris variés : aussi pouvaient-elles servir à toutes les scènes de la pièce. Elles représentaient tour à tour la prison, la cave, la maison, l’église, les chambres : cette coloration uniforme donnait une unité d’impression. La rapidité des changements et le lien harmonieux ne hachaient pas l’action, bien au contraire : presque comme en rêve, les scènes glissaient l’une sur l’autre, de façon que le lieu paraissait changer mais rester toujours voisin du précédent. Le pros- [sic] plancher était une zone neutre ; d’un gris très neutre, d’architecture sans date ; le sol en [/sic] cenium apparent restait immuable pour l’église, la chambre, la promenade.

Les costumes choisis sont ceux du XV e siècle, parce que cette mode de vêtements à longs plis favorise l’effet à distance, évite le maillot collant qui donne à l’acteur un air de danseur forain. Pour le costume et l’accessoire, il convient de chercher à produire l’effet à distance. Trop souvent on se sert d’étoffes minutieusement plissées, ravissantes de détails, qui de loin font tout simplement l’effet de malheureux essais d’oppositions de couleurs trop ternes et qui donnent un gris fade ; d’accessoires qui ont l’air de jouets ; de parures qui ne peuvent être distinguées qu’avec une lorgnette. Aussi le rouet de Gretchen était-il très grand, non pas parce que cette bonne petite bourgeoise était de taille à manier une importante machine, mais pour une autre raison. Gretchen doit paraître toute seule dans cette scène. Il est nécessaire de la montrer au rouet : tout détail dans l’aménagement de la chambre est impropre à la situation, car il ne s’agit que d’une effusion