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18 L’ART THÉÂTRAL MODERNE. du drame. La rampe, cette limite entre la salle et la scène, devient l’endroit où le mouvement dramatique corporel de l’acteur se transforme en mouvement spirituel chez le spectateur : c’est là que se fait l’union entre le public et l’acteur. Par expérience, nous savons que l’acteur et les habitués des coulisses qui suivent le drame éprouvent des sentiments très différents de ceux du public de la salle. Une loi scénique veut que les personnages sur lesquels se concentrent momentanément l’intérêt, l’action d’une scène, soient dans le même plan par rapport aux spectateurs. Avec les scènes en profondeur, les difficultés d’observer cette loi essentielle sont grandes.

Que fait-on alors sur la scène profonde pour combler les trois autres quarts vides de la scène ? On l’illustre de détails plus ou moins historiques ; on y met des comparses, des figurants qui s’ennuient, et tout cela au détriment de l’unité d’impression. On objectera qu’il faut des scènes profondes pour les pièces où doivent paraître des foules. Mais, quand y a-t-il foule ? Est-ce à dix, à vingt, à cinquante personnes ? Une foule est nécessaire sur une scène profonde parce que les loges et tous les spectateurs jusqu’aux dernières galeries pourraient constater les vides, et l’effet serait ridicule. Mais, dans un théâtre où il n’y a que des amphithéâtres, il suffit de donner une impression de foule ; pour cela, on dispose intelligemment une mince rangée de figurants : la peinture ne réussit-elle pas à représenter avec douze figures une armée en déroute ? En tout, il s’agira d’atteindre le but par les moyens les plus simples. Les peintres resteront dans leur domaine, sans chercher à donner l’illusion de la profondeur, à rendre les trois dimensions ; ils s’attacheront au problème des lignes et des plans.

On supprime de même les apparitions ; plus de machinerie compliquée pour nous montrer des esprits ou des dieux. Il est ridicule de vouloir, par des moyens aussi grossiers, provoquer l’illusion chez des hommes modernes. Comment représenter, avec une matière imparfaite, des êtres dont la perfection consiste en l’absence de tout élément terrestre ? On se contentera de suggérer ce qu’on ne peut représenter : l’esprit de César, dans la pièce de Shakespeare, est le symbole de l’être le plus noble, le plus grand de la terre ; qu’on fasse apparaître César lui-même, mais plus majestueux, plus noble que la réalité, et