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SCENE III

ABRAHAM.

On l’ignore.

EPHREM.

Que ferez-vous ?

ABRAHAM.

J’ai un ami fidèle qui parcourt les villes et les campagnes et ne prendra de repos que lorsqu’il saura quelle terre a reçu Marie.

EPHREM.

Et s’il découvre sa retraite ?

ABRAHAM.

Je prendrai d’autres habits ; j’irai la trouver sous l’extérieur d’un amant ; j’essaierai si mes exhortations ne peuvent la faire rentrer, après ce cruel naufrage, dans le port de son premier repos.

EPHREM.

Oui ; mais que ferez-vous si on vous offre à manger de la viande et à boire des coupes de vin ?

ABRAHAM.

Je ne refuserai point, pour ne pas être reconnu.

EPHREM.

Ce sera user d’un louable discernement, que de relâcher pour quelques moments le frein étroit de la discipline, afin de regagner une âme à Jésus-Christ.

ABRAHAM.

Ce qui m’enhardit à exécuter mon projet, c’est de voir que vous l’approuvez.

EPHREM.

Celui qui connaît les replis des cœurs sait quelle est l’intention qui nous dirige dans chacune de nos actions ; il les pèse avec équité et il ne regarde point comme coupable de prévarication celui qui, s’affranchissant pour un moment du joug d’un régime austère, ne dédaigne point de s’assimiler aux créatures les plus faibles pour ramener plus sûrement une âme qui s’est égarée.

ABRAHAM.

C’est à vous de m’aider de vos prières, de peur que la malice du démon n’entrave mes projets.

EPHREM.

Que l’être souverainement bon, sans lequel aucun bien n’est possible, veuille accorder une heureuse issue à vos desseins.



Scène IV.

ABRAHAM, L’AMI D’ABRAHAM.


ABRAHAM.

Ne vois-je pas venir cet ami que j’envoyai il y a plus de deux ans à la recherche de Marie ? C’est lui-même.

L’AMI.

Salut, mon vénérable père !

ABRAHAM.

Salut, fidèle ami Je vous ai attendu longtemps, et je désespérais maintenant de votre retour.

L’AMI.

Je vous ai fait ainsi attendre parce que je ne voulais pas prolonger votre inquiétude par des renseignements incertains ; dès que j’ai eu découvert la vérité, je me suis hâté de venir.

ABRAHAM.

Avez-vous vu Marie ?

L’AMI.

Je l’ai vue.

ABRAHAM.

Où ?

L’AMI.

C’est une chose lamentable à dire.

ABRAHAM.

Dites-le-moi, je vous prie.

L’AMI.

Elle a choisi la demeure d’un homme qui tient un lieu de débauche ; cet homme a pour elle le plus grand attachement, et ce n’est pas sans raison ; car tous les jours il reçoit beaucoup d’argent des amants de Marie.

ABRAHAM.

Des amants de Marie ?

L’AMI.

Oui.

ABRAHAM.

Et qui sont ces amants ?

L’AMI.

Ils sont très nombreux.

ABRAHAM.

Hélas ! ô Jésus ! quelle monstruosité ! J’apprends que celle que j’avais élevée pour être ton épouse se livre à des amants étrangers

L’AMI.

Ce fut de tout temps la coutume des courtisanes de se livrer à l’amour des étrangers.

ABRAHAM.

Procurez-moi un cheval léger, un habit militaire ; je veux déposer mon vêtement de religion et me présenter à elle comme un amant.

L’AMI.

Voici tout ce que vous m’avez demandé.

ABRAHAM.

Apportez-moi, je vous prie, un grand chapeau pour voiler ma tonsure.

L’AMI.

Cette précaution est surtout nécessaire pour que vous ne soyez pas reconnu.