Page:Rostand - Les Musardises, 1911.djvu/76

Cette page n’a pas encore été corrigée

62 LES MUSARDISES.

Si tu sens vaguement s’agiter un poète En toi, n’hésite pas ! étouffe dans ton coeur Ce serpent ! Il y va, crois-moi, de ton bonheur... Et le bonheur vaut seul vraiment qu'on s’en occupe ! Le métier de poète est un métier de dupe. Ah ! mon expérience est amère ! Longtemps, J'ai subi les dédains, les affronts irritants Des sots ; j’ai combattu pour l’art, plein d’énergie ! Je marchais, ébloui toujours par la magie De mon rêve, mes yeux de fou perdus au ciel ! Je ne souffrais de rien. J’étais même sans fiel Pour ceux qui me raillaient. J’étais le doux bohème Inoffensif ; j’allais, en penaillons, tout blême, Et nourri seulement des viandes de l’esprit ; Sans me mettre en souci du vulgaire qui rit. J’allais, gonflant toujours quelque nouvelle bulle ! J’étais l'extravagant heureux qui noctambule, Qui trouve, pour dormir, un banc délicieux. Pour qui tous les plafonds sont trop bas, sauf les cieux, J'étais le vagabond poète qui balade, Cherchant des jours entiers un refrain de ballade. Et qui va devant lui, sans souci des hivers. Heureux de se chanter à lui-même ses vers ! Je me disais : Mon temps n’est pas venu, mon heure