Page:Rostand - Les Musardises, 1911.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On t’avait surnommé Pif-Luisant. Les élèves
Charbonnaient ton profil grotesque sur le mur.
Mais tu marchais toujours égaré dans tes rêves.
Tu ne souffrais de rien. Tu vivais dans l’azur.

Car tu faisais des vers. Tu rimais un poème !
A nul autre que moi tu ne l’as avoué.
— Comment donc avais-tu, lamentable bohème,
Au fond de ce collège, en province, échoué ?

Pif-Luisant, je t’aimais. Quelquefois je suis triste
En repensant à toi. Qu’es-tu donc devenu ?
C’est toi qui m’as prédit que je serais artiste,
Et c’est toi le premier rimeur que j’ai connu.

Un jour, ayant trouvé des vers dans mon pupitre,
Tu fus pris d'une joie attendrie, et je vis
Comme un rayonnement sur ta face de pitre,
Et tu me contemplais avec des yeux ravis !

Dès ce jour, tu m’aimas. Et tandis que les autres
Jouaient en criaillant aux barres, nous causions.
Les conversations exquises que les nôtres !
Parfois tu m’expliquais un peu mes versions.