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d’un voile qui s’envole, une baie s’ouvre sur des villes ou sur des forêts, sur l’Histoire ou sur la Fable, sur la chambre d’une vie ou sur la clairière d’un songe, ce n’est pas notre faute si vous soulevez avec lassitude la lorgnette noire, et si la débilité de vos imaginations ne peut plus vous offrir qu’une moitié d’illusion ! On n’écrit pas les pièces pour les malheureux qui se souviennent du nom de l’acteur quand le héros entre en scène ! » Voilà ce que j’aurais aimé qu’il leur répondît.

Il se tut et fit un autre drame. Il passa de l’homme de Dieu au fléau de Dieu. Les Noces d’Attila ensanglantèrent longtemps l’Odéon. Mais après ce nouveau triomphe, ce fut la déception de Mahomet, déception que M. de Bornier aurait prévue s’il avait consulté Figaro. Figaro, lui aussi, voulut faire un Mahomet : « À l’instant, s’écrie-t-il, un envoyé de je ne sais où se plaint que j’offense dans mes vers la Sublime-Porte, la Perse, une partie de la presqu’île de l’Inde, toute l’Égypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, d’Alger et du Maroc ; et voilà ma comédie tombée pour plaire aux princes mahométans dont pas un, je crois, ne sait lire, et qui nous meurtrissent l’omoplate en nous disant : Chiens de chrétiens ! » Décidément Allah est Dieu, et Beaumarchais est son prophète. Il est bien d’avoir prédit la Révolution française et l’interdiction de Mahomet. Cette interdiction ne doit plus nous étonner. Quelque sottise, toujours, précède les grands crimes. À cette époque, déjà, l’Europe chrétienne avait décidé qu’elle étonnerait le monde par ses complaisances. Les chancelleries veillaient à ce que les « princes mahométans » ne connussent pas un pli à leurs divans de roses rouges. Et le