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D’autres étaient nés pour créer du beau ; mais à cause qu’ils ont vécu sans croire, ils ont fabriqué du joli. Et lui, parce qu’il a cultivé en lui la foi, le voilà qui, tout tranquillement, s’élève au-dessus de lui-même, étonne les poètes, et passe, de plain-pied, du respect dans la gloire ! Ses humbles et secrets héroïsmes quotidiens ont été les gammes par quoi il s’est préparé à faire parler les héros. Et qu’importe après cela que ses vers aient plus ou moins de virtuosité ! et tant mieux si quelquefois, en tombant, une larme sincère a un peu effacé la rime !

Oui, la Fille de Roland est une belle œuvre. — Lorsque Roland, les veines rompues, comme s’il voulait nous apprendre ce qu’il faut mêler à un souffle pour le rendre immortel, eut soufflé du sang dans le cor d’ivoire, la sonnerie rasa les ronces du val, vola sur les roches bises, franchit les puys, emplit le monde, alla se perdre dans les brumes d’Islande, revint chanter au soleil de Castille, et, tantôt vague, tantôt distincte, s’éteignant sous la voûte d’un cloître, éclatant au front d’une armée, grossie par un écho, altérée par l’autre, voyageant toujours, traversa la plaine médiévale, faillit être arrêtée par les jardins de la Renaissance, et après s’être religieusement ralentie entre les sapins d’Allemagne, avoir emphatiquement vibré parmi les pins d’Italie, profita de la brise romantique pour rentrer en France, où elle ne cessa plus d’être fière au fond des âmes, et d’être triste au fond des bois ! Eh bien ! la Fille de Roland est digne d’être un des derniers prolongements de cette fanfare désespérée qui croyait n’appeler que Charlemagne et qui fit répondre les