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LA FAISANE.

Car Elle change tout ! Elle !… Qui ?

CHANTECLER.

Car Elle change tout ! Elle !… Qui ? La Lumière !
Mais ce géranium planté par la fermière
N’a pas deux fois le même rouge ! Et ce sabot,
Ce vieux sabot crachant de la paille, est-ce beau !
Et le peigne de bois pendu parmi les blouses
Qui garde entre ses dents les cheveux des pelouses !
La vieille fourche en pénitence dans un coin,
Mais qui, dormant debout, fait des rêves de foin !
Les quilles au corset sanglé, ces belles filles
Dont Patou, mal reçu, dérange les quadrilles !
L’énorme boule en bois, vermoulue à demi,
Sur laquelle toujours voyage une fourmi
Qui fait, avec l’orgueil des parcoureurs de mondes,
Son petit tour de boule en quatre-vingts secondes !
Aucun de ces objets n’est pareil deux instants !
Et quant à moi, Madame, il y a bien longtemps
Qu’un râteau dans un coin, une fleur dans un vase
M’ont fait tomber dans une inguérissable extase,
Et que j’ai contracté devant un liseron
Cet émerveillement dont mon œil reste rond !

LA FAISANE, songeuse.

On sent que vous avez une âme !… Mais une âme
Se forme donc loin de la vie et de son drame,
Derrière un mur de ferme où sommeille un matou ?

CHANTECLER.

Quand on sait regarder et souffrir, on sait tout.
Dans une mort d’insecte on voit tous les désastres.
Un rond d’azur suffit pour voir passer les astres…

LA VIEILLE POULE, apparaissant.

Ce qui connaît le mieux le ciel, c’est l’eau du puits !

CHANTECLER, la présentant à la Faisane avant que le couvercle retombe

Ma nourrice.