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CHANTECLER, au Rossignol, d’une voix découragée.

Chanter !… Mais connaissant ton cristal sans défaut,
Vais-je me contenter de mon cuivre ?

LE ROSSIGNOL.

Vais-je me contenter de mon cuivre ? Il le faut !

CHANTECLER.

Vais-je pouvoir chanter ? Mon chant va me paraître,
Hélas ! trop rouge et trop brutal !

LE ROSSIGNOL.

Hélas ! trop rouge et trop brutal ! Le mien, peut être,
M’a semblé quelquefois trop facile et trop bleu !

CHANTECLER.

Oh ! comment daignes-tu me faire cet aveu ?

LE ROSSIGNOL.

Tu t’es battu pour une amie à moi, la Rose !
Sache donc cette triste et rassurante chose
Que nul, Coq du matin ou Rossignol du soir,
N’a tout à fait le chant qu’il rêverait d’avoir !

CHANTECLER, avec un désir passionné

Oh ! être un son qui berce !

LE ROSSIGNOL.

Oh ! être un son qui berce ! Être un devoir qui sonne !

CHANTECLER.

Je ne fais pas pleurer !

LE ROSSIGNOL.

Je ne fais pas pleurer ! Je n’éveille personne !

Mais après ce regret, il reprend, d’une voix toujours plus haute et plus lyrique :

Qu’importe ! Il faut chanter ! chanter même en sachant
Qu’il existe des chants qu’on préfère à son chant !
Chanter jusqu’à ce que…

Une détonation. Un éclair dans le hallier. Court silence. Puis, unpetit corps roussâtre tombe aux pieds de Chantecler.
CHANTECLER, se penche, regarde ;

Chanter jusqu’à ce que… Le Rossignol !… Les brutes !