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LE PAON, à mi-voix, à ses voisins.

Il m’en veut de ces Coqs que je viens d’introduire !

À Chantecler, ironiquement.

Que pensez-vous de ces beaux Messieurs qu’on voit luire ?

CHANTECLER.

Je pense que tout ça c’est des coqs fabriqués
Par des négociants aux cerveaux compliqués
Qui, pour élucubrer un poulet ridicule,
À l’un prennent une aile, à l’autre un caroncule ;
Je pense qu’en ces coqs rien ne reste du Coq ;
Que tout ça c’est des coqs faits de bric et de broc
Qui montent mieux la garde au seuil d’un catalogue
Qu’au seuil d’une humble cour, à côté d’un vieux dogue ;
Que tout ça, c’est des coqs frisottés, hérissés,
Convulsés, que n’a pas apaisés et lissés
La maternelle main de la calme Nature,
Et que tout ça n’est rien que de l’Aviculture !
Et que ces papegais aux plumages discords,
Sans style, sans beauté, sans ligne, et dont les corps
N’ont pas même de l’œuf gardé la douce ellipse,
Semblent sortir d’un poulailler d’Apocalypse !

UN COQ.

Mais, Monsieur…

CHANTECLER, s’exaltant.

Mais, Monsieur… Et je dis que — n’est-ce pas, Soleil ! —
Le seul devoir d’un coq est d’être un cri vermeil !
Et lorsqu’on ne l’est pas, cela n’est pas la peine
D’être buboniforme ou révolutipenne,
On disparaît bientôt sans avoir rien été
Que la variété d’une variété !

UN COQ.

Mais…

CHANTECLER, allant maintenant de l’un à l’autre.

Mais… Oui, Coqs affectant des formes incongrues,
Coquemars, Cauchemars, Coqs et Coquecigrues,