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LA FAISANE, émue.

Chantecler !

CHANTECLER.

Chantecler ! Je me trouve indigne de ma gloire.
Pourquoi m’a-t-on choisi pour chasser la nuit noire ?
Oui, dès que j’ai rendu les cieux incandescents,
L’orgueil, qui m’enlevait, tombe. Je redescends.
Comment ! moi, si petit, j’ai fait l’aurore immense ?
Et, l’ayant faite, il faut que je la recommence ?
Mais je ne pourrai pas ! Je ne vais pas pouvoir !
Je ne pourrai jamais ! Je suis au désespoir !
Console-moi !

LA FAISANE, tendrement.

Console-moi ! Mon Coq !

CHANTECLER.

Console-moi ! Mon Coq ! Je me sens responsable.
Ce souffle que j’attends quand je gratte le sable
Reviendra-t-il ? Je sens dépendre l’avenir
De ce je ne sais quoi qui peut ne pas venir !
Comprends-tu maintenant l’angoisse qui me ronge ?
Ah ! le cygne est certain, lorsque son cou s’allonge,
De trouver, sous les eaux, des herbes ; l’aigle est sûr
De tomber sur sa proie en tombant de l’azur ;
Toi, de trouver des nids de fourmis dans la terre ;
Mais moi, dont le métier me demeure un mystère
Et qui du lendemain connais toujours la peur,
Suis-je sûr de trouver ma chanson dans mon cœur ?

LA FAISANE, l’entourant de ses ailes.

Oui, tu la trouveras, oui !

CHANTECLER.

Oui, tu la trouveras, oui ! Parle ainsi. J’écoute.
Il faut me croire quand je crois, pas quand je doute.
Redis-moi…

LA FAISANE.

Redis-moi… Tu es beau !

CHANTECLER.

Redis-moi… Tu es beau ! Non, ça, ça m’est égal.