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Puis, quand, pour l’en chasser enfin, je la contracte,
Je suis si convaincu que j’accomplis un acte ;
J’ai tellement la foi que mon cocorico
Fera crouler la Nuit comme une Jéricho…

LA FAISANE, épouvantée.

Chantecler !

CHANTECLER.

Chantecler ! Et sonnant d’avance sa victoire,
Mon chant jaillit si net, si fier, si péremptoire,
Que l’horizon, saisi d’un rose tremblement,
M’obéit !

LA FAISANE.

M’obéit ! Chantecler !

CHANTECLER.

M’obéit ! Chantecler ! Je chante ! Vainement
La Nuit, pour transiger, m’offre le crépuscule ;
Je chante ! Et tout à coup…

LA FAISANE.

Je chante ! Et tout à coup… Chantecler !

CHANTECLER.

Je chante ! Et tout à coup… Chantecler ! Je recule,
Ébloui de me voir moi-même tout vermeil,
Et d’avoir, moi, le coq, fait lever le soleil !

LA FAISANE.

Alors, tout le secret de ton chant ?…

CHANTECLER.

Alors, tout le secret de ton chant ?… C’est que j’ose
Avoir peur que sans moi l’Orient se repose !
Je ne fais pas : « Cocorico ! » pour que l’écho
Répète un peu moins fort, au loin : « Cocorico ! »
Je pense à la lumière et non pas à la gloire.
Chanter, c’est ma façon de me battre et de croire,
Et si de tous les chants mon chant est le plus fier,
C’est que je chante clair afin qu’il fasse clair !