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MARMONT.

Je l’ai revu !

LE DUC.

Je l’ai revu !D’espoir je suis réenvahi !
Je voudrais pardonner ! — Pourquoi l’as-tu trahi ?

MARMONT.

Ah ! Monseigneur !…

LE DUC.

Ah ! Monseigneur !…Pourquoi, — vous autres ?

MARMONT, avec un geste découragé.

Ah ! Monseigneur !…Pourquoi, — vous autres ? La fatigue !

(Depuis un instant, la porte du fond, à droite, s’est entr’ouverte sans bruit, et on a pu apercevoir, dans l’entrebâillement, le laquais qui a emporté les petits soldats, écoutant. À ce mot : la fatigue, il entre et referme doucement la porte derrière lui, pendant que Marmont continue, dans un accès de franchise.)

Que voulez-vous ?… Toujours l’Europe qui se ligue !
Être vainqueur, c’est beau, mais vivre a bien son prix !
Toujours Vienne, toujours Berlin, — jamais Paris !
Tout à recommencer, toujours !… On recommence
Deux fois, trois fois, et puis… C’était de la démence !
À cheval sans jamais desserrer les genoux !
À la fin nous étions trop fatigués !

LE LAQUAIS, d’une voix de tonnerre.

À la fin nous étions trop fatigués !Et nous ?…



Scène IX

LE DUC, MARMONT, FLAMBEAU.
LE DUC ET MARMONT, se retournant et l’apercevant debout, au fond, les bras croisés.

Hein ?

LE LAQUAIS, descendant peu à peu vers Marmont.

Hein ?Et nous, les petits, les obscurs, les sans-grades,
Nous qui marchions fourbus, blessés, crottés, malades,
Sans espoir de duchés ni de dotations ;
Nous qui marchions toujours et jamais n’avancions ;
Trop simples et trop gueux pour que l’espoir nous berne
De ce fameux bâton qu’on a dans sa giberne ;