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MARMONT, d’une voix sourde.

À demain…Monseigneur, j’ai gardé le silence.

LE DUC.

Il n’aurait plus manqué que vous ragusassiez !

MARMONT, saisissant une chaise.

Vous pouvez conjuguer ce verbe ; je m’assieds.

LE DUC.

Comment ?

MARMONT.

Comment ? Je vous permets de conjuguer ce verbe,
Car vous avez été, tout à l’heure, superbe !

LE DUC.

Monsieur !…

MARMONT, haussant les épaules.

Monsieur !…J’ai dit du mal de l’Empereur ? j’en dis
Toujours… depuis quinze ans, c’est vrai : je m’étourdis !
Ne comprenez-vous pas que le duc de Raguse
Espère se trouver, à lui-même, une excuse ?
— La vérité… c’est que je ne l’ai pas revu.
Si je l’avais revu, je serais revenu !
Bien d’autres l’ont trahi, croyant servir la France !
Mais ils l’ont tous revu ! Voilà la différence !
Tous ils étaient repris ! — et je le suis, ce soir !…

LE DUC.

Pourquoi ?

MARMONT, avec une brusque chaleur.

Pourquoi ? Mais parce que je viens de le revoir !

LE DUC, auquel échappe presque un cri de joie.

Comment ?

MARMONT, tendant la main vers le Duc.

Comment ? Là, dans le front, dans la fureur du geste,
Dans l’œil étincelant !… Insultez-moi. Je reste.

LE DUC.

Ah !… tu réparerais un peu, si c’était vrai !
Et c’est toi, par ton cri, qui m’aurais délivré
De ce doute de moi, si triste, et qu’on exploite.
Quoi ! malgré mon front lourd et ma poitrine étroite ?…