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LE DUC, lui faisant regarder de près les petits soldats.

Il y a sept boutons à l’habit bleu de roi !
Les collets sont exacts. Les revers sont fidèles.
Torsades, brandebourgs, trèfles, nids d’hirondelles,
Tout y est ! Ce quelqu’un ne peut être indécis
Ni sur un passe-poil, ni sur un retroussis !
Les lisérés sont blancs, les pattes ont trois pointes…
Oh ! toi, qui que tu sois, ami, c’est à mains jointes
Que je te remercie, ô soldat inconnu,
Qui, je ne sais comment, je ne sais d’où venu,
A trouvé le moyen, dans ce bagne où nous sommes,
De repeindre pour moi tous ces petits bonshommes !
Petite armée en bois, le héros, quel est-il,
— Seul un héros peut être à ce point puéril ! —
Qui vient de t’équiper afin que tu me ries
De toutes les blancheurs de tes buffleteries !
Mais comment a-t-il fait pour échapper aux yeux ?
Oh ! quel est le pinceau tendre et minutieux
Qui leur a mis à tous des petites moustaches,
Qui timbra de canons croisés les sabretaches,
Et qui n’oublia pas de se tremper dans l’or
Pour mettre aux officiers la grenade ou le cor !
(S’exaltant de plus en plus.)
Sortons-les tous !… La table en est toute couverte.
Voici les voltigeurs à l’épaulette verte,
Voici les tirailleurs, et voici les flanqueurs !
Sortons-les, sortons-les, tous ces petits vainqueurs !
Oh ! regarde, Prokesch, dans la boîte, enfermée,
Regarde ! il y avait toute la Grande Armée !
— Voici les Mamelucks ! — Tiens ! là ! je reconnais
Les plastrons cramoisis des lanciers polonais !
Voici les éclaireurs culottés d’amarante !
Enfin, voici, guêtrés de couleur différente,
Les grenadiers de ligne aux longs plumets tremblants
Qui montaient à l’assaut avec des mollets blancs,
Et les conscrits chasseurs aux pompons verts en poires
Qui couraient à la Mort avec des jambes noires !