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LE DUC.

Prince…Répondez-moi ! Dois-je me dédaigner ?
Parlez-moi franchement  : que suis-je ? — Pour régner,
Ai-je le front trop lourd et les poignets trop minces ? —
Que pensez-vous de moi ?

PROKESCH, gravement, lui prenant les deux mains.

Que pensez-vous de moi ?Prince, si tous les princes
Connaissaient ces tourments, ces doutes, ces effrois,
Il n’y aurait jamais que d’admirables rois.

LE DUC, avec un cri de joie, l’embrassant.

Merci ! Prokesch ! — Ah ! ce seul mot me réconforte.
— Travaillons, mon ami.



Scène V

LE DUC, PROKESCH, puis THÉRÈSE.
(Un laquais entre, pose sur la table un plateau avec des lettres et sort. C’est celui que le Duc a désigné tout à l’heure comme le gardant la nuit, l’homme que l’huissier a appelé le Piémontais.)
PROKESCH.

Travaillons, mon ami.Le courrier qu’on apporte…
(Il montre les lettres au duc.)
Beaucoup de lettres…

LE DUC.

Beaucoup de lettres…Oui… de femmes. Celles-là,
On les laisse arriver.

PROKESCH.

On les laisse arriver.Que de succès !

LE DUC.

On les laisse arriver.Que de succès !Voilà
Ce que c’est que d’avoir l’auréole fatale !
(Il prend une lettre que Prokesch lui passe, décachetée.)
« Dans votre loge, hier, comme vous étiez pâle… »
Je déchire.
Je déchire.(Il déchire et en prend une autre.)
Je déchire.« Oh ! ce front qui… » Je déchire.
(Il déchire, et Prokesch lui en passe une troisième.)
Je déchire.« Oh ! ce front qui… » Je déchire.« Hier,