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Dans lequel il y a des cloches, du canon,
Et qui tonne, sans cesse, et sonne des reproches
À ma langueur, avec son canon et ses cloches !
Salves et carillons, taisez-vous ! — Du poison ?
Comme si j’en avais besoin dans ma prison !
(Il est remonté vers la fenêtre.)
Oh ! vouloir à l’histoire ajouter des chapitres,
Et puis n’être qu’un front qui se colle à des vitres !
(Il redescend vers Prokesch.)
Je tâche d’oublier quelquefois. — Quelquefois
Je m’élance à cheval, éperdument. Je bois
Le vent ; je ne suis plus qu’un désir d’aller vite,
De crever mon cheval et mon rêve ; j’évite
De regarder courir au loin les peupliers
Pareils à des bonnets penchés de grenadiers ;
Je vais ; je ne sais plus quel est mon nom ; je hume
Avec enivrement la forte odeur d’écume,
De poussière, de cuir, de gazon écrasé ;
Enfin, vainqueur du rêve, heureux, brisé, grisé,
J’arrête mon cheval au bord d’un champ de seigle,
Lève les yeux au ciel, — et vois passer un aigle !
(Il tombe assis, — reste un instant accoudé sur la table, la tête dans ses mains. — Puis, d’une voix plus sourde :)
— Encor, si je pouvais en moi-même avoir foi !
(Il lève sur Prokesch un regard d’angoisse.)
Vous qui me connaissez, que pensez-vous de moi ?
Ah ! Prokesch ! Si j’étais ce qu’on dit que nous sommes,
Que nous sommes souvent, nous, les fils de grands hommes !
Ce doute, avec des mots, Metternich l’entretient !
Il a raison, — et c’est son devoir d’Autrichien ! —
J’ai froid quand, pour y prendre un mot de sa manière,
Il ouvre son esprit comme une bonbonnière !
— Vous, dites-moi quelle est au juste ma valeur ?
Vous qui me connaissez… puis-je être un empereur ?
(Avec désespoir.)
— Que de ce front, mon Dieu, la couronne s’écarte,
Si sa pâleur n’est pas celle d’un Bonaparte !

PROKESCH, ému.

Prince…