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PREMIER ACTE

LES AILES QUI POUSSENT





À Baden, près de Vienne, en 1830.

Le salon de la villa qu’occupe Marie-Louise. Vaste pièce au milieu de laquelle s’élève la montgolfière de cristal d’un lustre empire. Boiseries claires, murs peints à fresque, d’un vert pompéien. Frise de sphinx courant autour du plafond.

À gauche, deux portes. Celle du premier plan est celle de la chambre de Marie-Louise. Celle du second plan ouvre sur les appartements des dames d’honneur. — À droite, au premier plan, une autre porte : au second plan, dans une niche, un énorme poêle de faïence, lourdement historié. — Au fond, entre deux fenêtres, une large porte-fenêtre, par laquelle on aperçoit les balustres d’un perron formant balcon, qui descend dans le jardin. Vue sur le parc de Baden : tilleuls et sapins, profondes allées, lanternes suspendues à des potences en arceaux. Magnifique journée des premiers jours de septembre.

On a apporté dans cette banale villa de location un précieux mobilier. À gauche, près de la fenêtre, une belle psyché en citronnier chargée de bronzes ; au premier plan une vaste table d’acajou, couverte de papiers ; contre le mur, une table étagère à dessus de laque, garnie de livres. — À droite, vers le fond, un petit piano Érard de l’époque, une harpe ; plus bas, une chaise longue Récamier auprès d’un grand guéridon. Fauteuils et tabourets en X. Beaucoup de fleurs dans des vases. Au mur, gravures encadrées représentant les membres de la famille impériale d’Autriche ; portraits de l’Empereur François, du duc de Reichstadt enfant, etc.

Au lever du rideau, au fond du salon, un groupe de femmes très élégantes. Deux d’entre elles, assises au piano, dos au public, jouent à quatre mains. — Une autre est à la harpe. On déchiffre. Rires ; interruptions.

Un laquais introduit, par le perron, une jeune fille de mine modeste, qu’accompagne un officier de cavalerie autrichienne, un merveilleux hussard bleu et argent. Les deux nouveaux venus, voyant qu’on ne les remarque pas, restent un moment debout dans un coin du salon. — À ce moment, par la porte de droite, entre le comte de Bombelles, attiré par la musique. Il se dirige vers le piano, en battant la mesure. Mais il aperçoit la jeune fille, s’arrête, sourit, va vivement à elle.