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LE JEUNE HOMME.

Monseigneur !

LE DUC.

Monseigneur !Le dédain de ceux qui peuvent vivre
Satisfaits…

LE JEUNE HOMME.

Satisfaits…Monseigneur !

LE DUC.

Satisfaits…Monseigneur !Le doute…

LE JEUNE HOMME.

Satisfaits…Monseigneur ! Le doute…Dans quel livre,
Vous si jeune, avez-vous appris le cœur humain ?
C’est là ce que sens !

LE DUC.

C’est là ce que sens !Donne-moi donc la main…
Puisque comme un jeune arbre, ami, que l’on transplante,
Emporte sa forêt dans sa sève ignorante,
Et quand souffrent au loin ses frères, souffre aussi,
Sans rien savoir de vous, moi, j’ai tout seul, ici,
Senti monter du fond de mon sang le malaise
Dont souffre en ce moment la jeunesse française !

LE JEUNE HOMME.

Je crois que notre mal est le vôtre plutôt ;
Car d’où tombe sur vous ce trop pesant manteau ?
— Enfant à qui d’avance on confisqua la gloire,
Prince pâle, si pâle en la cravate noire,
De quoi donc êtes-vous pâle ?

LE DUC.

De quoi donc êtes-vous pâle ?D’être son fils !

LE JEUNE HOMME.

Eh bien ! faibles, fiévreux, tourmentés par jadis,
Murmurant comme vous : Que reste-t-il à faire ?…
Nous sommes tous un peu les fils de votre père.

LE DUC, lui mettant la main sur l’épaule.

Vous êtes ceux de ses soldats : c’est aussi beau !
Et ce n’est pas un moins redoutable fardeau…
Mais cela m’enhardit. Je peux parfois me dire :
Ils ne sont que les fils des héros de l’Empire,
Ils se contenteront du fils de l’Empereur.