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Dans la Crypte des Capucins,
à Vienne.


Et maintenant il faut que Ton Altesse dorme,
— Âme pour qui la Mort est une guérison, —
Dorme, au fond du caveau, dans la double prison
De son cercueil de bronze et de cet uniforme.

Qu’un vain paperassier cherche, gratte, et s’informe ;
Même quand il a tort, le poète a raison.
Mes vers peuvent périr, mais, sur son horizon,
Wagram verra toujours monter ta blanche forme !

Dors. Ce n’est pas toujours la Légende qui ment.
Un rêve est moins trompeur, parfois, qu’un document.
Dors ; tu fus ce Jeune homme et ce Fils, quoi qu’on dise.

Les cercueils sont nombreux, les caveaux sont étroits,
Et cette cave a l’air d’un débarras de rois…
Dors dans le coin, à droite, où la lumière est grise.


Dors dans cet endroit pauvre où les archiducs blonds
Sont vêtus d’un airain que le Temps vert-de-grise.
On dirait qu’un départ dont l’instant s’éternise
Encombre les couloirs de bagages oblongs.

Des touristes anglais traînent là leurs talons,
Puis ils vont voir, plus loin, ton cœur, dans une église.
Dors, tu fus ce Jeune homme et ce Fils, quoi qu’on dise.
Dors, tu fus ce martyr ; du moins, nous le voulons.

… Un capucin pressé d’expédier son monde
Frappe avec une clef sur ton cercueil qui gronde,
Dit un nom, une date — et passe, en abrégeant…

Dors ! mais rêve en dormant que l’on t’a fait revivre,
Et que, laissant ton corps dans son cercueil de cuivre,
J’ai pu voler ton cœur dans son urne d’argent.