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LE DUC.

Non ! laissez approcher les Victoires, mes sœurs !
Je les sens, je les sens, ces glorieuses folles,
Qui viennent dans mes pleurs laver leurs auréoles !

MARIE-LOUISE.

Que dis-tu ?

LE DUC, tressaillant.

Que dis-tu ?Qu’ai-je dit ? Je n’ai rien dit !… Hein ! Quoi ?
(Il regarde autour de lui comme s’il craignait qu’en n’eût compris.)
Non !… Rien !…
Non !… Rien !…(Et mettant un doigt sur ses lèvres.)
Non !… Rien !…C’est un secret entre mon père et moi.
(Il désigne le voile de dentelles du berceau.)
Donnez, que de ce voile exquis je m’enveloppe
Pour pousser le soupir qui délivre l’Europe !
Trop de gens ont besoin de ma mort… et je meurs
D’avoir été tué, tout bas, dans trop de cœurs !
(Il ferme un instant les yeux.)
Ah ! mon enterrement sera laid… Des arcières…
Quelques laquais portant des torches aux portières…
Les capucins diront leurs chapelets de buis…
Et puis ils me mettront dans leur chapelle… et puis…
(Il pâlit affreusement, se mord les lèvres.)

MARIE-LOUISE.

Explique ce que sont tes douleurs ?

LE DUC.

Explique ce que sont tes douleurs ?Surhumaines…
Et puis la Cour prendra le deuil pour six semaines !

LA COMTESSE.

Voyez ! au lieu du drap, il ramène sur lui
Le voile du berceau !

LE DUC, haletant.

Le voile du berceau !Ce sera très laid… oui…
Mais il faut en mourant… oui… que je me souvienne…
Qu’on baptise à Paris mieux qu’on n’enterre à Vienne !
(Appelant.)
Général Hartmann !…