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PROKESCH, au docteur.

Couchez-moi sur ce lit de camp !…Comme il pâlit !…

(La Comtesse a tiré de sa poitrine un grand cordon de la Légion d’honneur, et tout en installant le prince dans ses coussins, elle le lui passe légèrement sans qu’il s’en aperçoive.)

LE DUC, voit soudain la moire rouge sur son linge, sourit, cherche des mains la croix, et la porte à ses lèvres. Puis il dit en regardant le berceau.

J’étais plus grand dans ce berceau que dans ce lit !
Des femmes me berçaient… Oui, j’avais trois berceuses
Qui chantaient des chansons vieilles et merveilleuses !
Oh ! les bonnes chansons de Madame Marchand !…
Qui donc, pour m’endormir, me bercera d’un chant ?

MARIE-LOUISE, agenouillée près de lui.

Mais ta mère, mon fils, peut te bercer, je pense !

LE DUC.

Est-ce que vous savez une chanson de France ?

MARIE-LOUISE.

Moi ?… Non…

LE DUC, à Thérèse.

Moi ?… Non…Et vous ?

THÉRÈSE.

Moi ?… Non…Et vous ?Peut-être…

LE DUC.

Moi ?… Non…Et vous ?Peut-être…Oh ! chantez à mi-voix
Il pleut, bergère…
Il pleut, bergère…(Elle fredonne l’air.)
Il pleut, bergère…ou bien : Nous n’irons plus au bois…
(Elle fredonne encore.)
Et chantez : Sur le pont d’Avignon… pour me faire
Endormir doucement dans l’âme populaire…
(Elle murmure maintenant la ronde qu’il demande.)
Il en est une encore… oui… que j’aimais beaucoup :
Ah ! ah ! c’est celle-là qu’il faut chanter surtout !
(Il se soulève, l’œil hagard, et chante)
Il était un p’tit homme,
Tout habillé de gris !…

(Sa main va vers la statuette de l’Empereur, et il retombe.)