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LE LAQUAIS.

D’apporter…Il est là.

(Le duc fait signe qu’il veut le voir. Tandis qu’on va le chercher, il aperçoit Metternich pâle et immobile. Il se lève.)

LE DUC.

D’apporter…Il est là.Monsieur le Chancelier,
Je meurs trop tôt pour vous : versez donc une larme !

METTERNICH.

Mais…

LE DUC, fièrement.

Mais…J’étais votre force, et ma mort vous désarme !
L’Europe qui jamais n’osait vous dire non
Quand vous étiez celui qui peut lâcher l’Aiglon,
Demain, tendant l’oreille et reprenant courage,
Dira : « Je n’entends plus remuer dans la cage !… »

METTERNICH.

Monseigneur…

(On apporte le grand berceau de vermeil du Roi de Rome.)
LE DUC.

Monseigneur…Le berceau dont Paris m’a fait don !
Mon splendide berceau, dessiné par Prudhon !
J’ai dormi dans sa barque aux balustres de nacre,
Bébé dont le baptême eut la pompe d’un sacre !
— Approchez ce berceau du petit lit de camp
Où mon père a dormi dans cette chambre, quand
La Victoire éventait son sommeil de ses ailes !
(Le berceau est maintenant contre le petit lit.)
— Plus près, — faites frôler le drap par les dentelles !
Oh ! comme mon berceau touche mon lit de mort !
(Il met la main entre le berceau et le lit en murmurant.)
Ma vie est là, dans la ruelle…

THÉRÈSE, éclatant en sanglots sur l’épaule de la Comtesse.

Ma vie est là, dans la ruelle…Oh !…

LE DUC.

Ma vie est là, dans la ruelle…Oh !…Et le sort,
Dans la ruelle mince — oh ! trop mince et trop noire ! —
N’a pu laisser tomber une épingle de gloire !
— Couchez-moi sur ce lit de camp !…

(Le docteur et Prokesch, aidés par la Comtesse, le conduisent au lit de camp.)