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ACTE VI

LES AILES FERMÉES


Quelque temps après. À Schœnbrunn. La chambre du duc de Reichstadt, sombre et somptueuse.

Au fond, la haute porte noire et dorée qui donne sur le petit Salon de Porcelaine. À droite, la fenêtre. À gauche, une tapisserie dans laquelle se dissimule une petite porte.

Le mobilier tel qu’il est encore aujourd’hui : fauteuils aux bois noirs et dorés, paravent, prie-Dieu, tables et consoles.

Désordre fiévreux d’une chambre de malade. Des fourrures, des livres, des fioles, des tasses, des oranges, et partout, sur tous les meubles, d’énormes bouquets de violettes.

Au premier plan, vers la gauche, un étroit lit de camp. À son chevet, au milieu d’une table basse encombrée aussi de médicaments et de fleurs, un petit bronze de Napoléon Ier.

Au lever du rideau, le duc, horriblement défait, son visage aminci penché sur les trois tours d’une cravate de batiste chiffonnée, ses cheveux blonds, qu’on ne coupe plus, retombant en mèches trop longues, est assis, tout frissonnant, sur le bord du lit. Il s’enveloppe tristement d’un grand manteau qui lui sert de robe de chambre et sous lequel il est en culotte blanche, sans veste, son corps fluet flottant dans le linge bouffant de la chemise et ses mains amaigries perdues dans les manchettes plissées.

Il regarde fixement devant lui.

Debout, dans un coin de la chambre, le docteur et le général Hartmann, vieux soldat chamarré, de service auprès du prince, causent à voix basse.

La porte du fond s’entre-baille avec mystère, laissant filtrer une lueur jaune et tremblante. L’archiduchesse se glisse par l’entre-bâillement, jette un regard derrière elle comme pour s’assurer que quelque chose est prêt, et referme vite sans bruit. Elle est toute pâle dans ses dentelles.

Après avoir échangé, tout bas, quelques mots avec les deux hommes qui hochent la tête en regardant le Duc, elle s’approche de lui sans qu’il s’en aperçoive, et lui prend doucement la main.

Il tressaille, la reconnaît avec surprise.