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— Ne me regardez pas avec ces yeux ! — Pourquoi
Rampez-vous, tout d’un coup, en silence, vers moi ?
Dieu ! vous voulez crier quelque chose, il me semble !…
Pourquoi reprenez-vous haleine tous ensemble ?
Pourquoi vous ouvrez-vous, bouches pleines d’horreur ?
(Et courbé par l’épouvante, voulant fuir, ne pas entendre :)
Quoi ? Qu’allez-vous crier ? Quoi ?

TOUTES LES VOIX.

Quoi ? Qu’allez-vous crier ? Quoi ?Vive l’Empereur !

LE DUC, tombant à genoux.

Ah ! oui ! c’est le pardon à cause de la gloire !
(Il dit doucement et tristement à la Plaine :)
Merci.
Merci.(Et se relevant :)
Merci.Mais j’ai compris. Je suis expiatoire.
Tout n’était pas payé. Je complète le prix.
Oui, je devais venir dans ce champ. J’ai compris.
Il fallait qu’au-dessus de ces morts je devinsse
Cette longue blancheur, toujours, toujours plus mince,
Qui, renonçant, priant, demandant à souffrir,
S’allonge pour se tendre, et mincit pour s’offrir !
Et lorsque entre le ciel et le champ de bataille,
Là, de toute mon âme et de toute ma taille,
Je me dresse, — je sens que je monte, je sens
Qu’exhalant ses brouillards comme un énorme encens,
Toute la plaine monte afin de mieux me tendre
Au grand ciel apaisé qui commence à descendre,
Et je sens qu’il est juste et providentiel
Que le champ de bataille ainsi me tende au ciel,
Et m’offre, pour pouvoir, après cet Offertoire,
Porter plus purement son titre de victoire !

(Il se dresse en haut du tertre, tout petit dans l’immense plaine, et se détachant les bras en croix, sur le ciel.)

— Prends-moi ! prends-moi, Wagram ! et, rançon de jadis,
Fils qui s’offre en échange, hélas, de tant de fils,
Au-dessus de la brume effrayante où tu bouges,
Élève-moi, tout blanc, Wagram, dans tes mains rouges !