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(Une troisième fois il est arrêté.)
Là…
Là…(Il regarde autour de lui.)
Là…Partout, s’allongeant, les mêmes formes bleues…
Il en meurt !…
(Reculant toujours comme devant un flot qui monte, il s’est réfugié au sommet du tertre d’où il découvre toute la plaine.)
Là…Il en meurt !…il en meurt ainsi pendant des lieues !

TOUTE LA PLAINE.

Je meurs… Je meurs… Je meurs…

LE DUC.

Je meurs… Je meurs… Je meurs…Ah ! nous nous figurions
Que la vague immobile et lourde des sillons
Ne laissait rien flotter ! Mais les plaines racontent,
Et la terre, ce soir, a des morts qui remontent !

LA TERRE, sourdement.

Ah !…
(Un murmure de voix indistinctes grossit, se rapproche dans les herbes mystérieusement agitées.)

LE DUC, grelottant la fièvre.

Ah !…Et que disent-ils, dans cette ombre, en rampant ?

UNE VOIX, dans les hautes herbes.

Mon front saigne !

UNE AUTRE.

Mon front saigne !Ma jambe est morte !

UNE AUTRE.

Mon front saigne !Mon front saigne !Mon bras pend !

UNE AUTRE, plus oppressée.

J’étouffe sous le tas !

LE DUC, avec horreur.

J’étouffe sous le tas !C’est le champ de bataille !
Je l’ai voulu, — c’est lui !

(Les voix montent et se précisent. On entend un grouillement sinistre : des plaintes, des râles, des imprécations.)

UNE VOIX.

Je l’ai voulu, — c’est lui !De l’eau sur mon entaille !

UNE AUTRE.

Regarde, et dis-moi donc ce que j’ai de cassé !

UNE AUTRE.

Ne me laissez donc pas crever dans le fossé !