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UNE VOIX, très loin.

À boire !

LE DUC, essuyant une sueur à son front.

À boire !Dieu !

FLAMBEAU, d’une voix rauque.

À boire !Dieu !Je meurs…

DES VOIX, de tous côtés, dans la plaine.

À boire !Dieu !Je meurs…Je meurs… Je meurs…

LE DUC, avec épouvante.

À boire !Dieu !Je meurs…Je meurs…Je meurs…Son râle
Se multiplie au loin…

UNE VOIX, se perdant.

Se multiplie au loin…Je meurs…

LE DUC.

Se multiplie au loin…Je meurs…… sous le ciel pâle !
— Ah ! je comprends !… Le cri de cet homme qui meurt
Fut, pour ce val qui sait tous les râles par cœur,
Comme le premier vers d’une chanson connue,
Et quand l’homme se tait, la plaine continue !

LA PLAINE, au loin.

Ah !… ah !…

LE DUC.

Ah !… ah !…Ah ! je comprends !… plainte, râle, sanglot,
C’est Wagram, maintenant, qui se souvient tout haut !

LA PLAINE, longuement.

Ah !…

LE DUC, regardant Flambeau qui s’est raidi dans l’herbe.

Ah !…Il ne bouge plus !
Ah !…(Avec terreur.)
Ah !…Il ne bouge plus !Il faut que je m’en aille !
Il a vraiment trop l’air tué dans la bataille !
(Sans le quitter des yeux, il s’éloigne, à reculons, en murmurant.)
Ce devait être tout à fait comme cela !
Cet habit bleu… ce sang…

(Et tout d’un coup il prend la fuite. Mais il s’arrête, comme si le soldat mort était encore devant lui.)

Cet habit bleu… ce sang…Un autre…

(Il veut s’enfuir d’un autre côté, mais il recule encore en criant)

Cet habit bleu… ce sang…Un autre…Un autre, là !…