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Scène PREMIÈRE

LE DUC, FLAMBEAU, PROKESCH.
(Tous les trois, immobiles dans leurs manteaux, attendent. Silence, — pendant lequel on entend le vent souffler.)
LE DUC, ouvrant son manteau pour que le vent s’y engouffre, et le refermant brusquement.

Tiens ! je prends de ton vent, Wagram, dans mon manteau !
(À Flambeau qui regarde, sur la route, vers la gauche.)
Les chevaux ?

FLAMBEAU.

Les chevaux ?Pas encor. Nous arrivons trop tôt.

LE DUC.

Au premier rendez-vous que me donne la France,
Je dois, comme un amant, arriver en avance !

(Il se met à se promener de long en large et arrive devant le poteau. Il s’arrête.)

Leur poteau !… jaune et noir !… Ah ! je vais donc pouvoir
Marcher sans rencontrer un poteau jaune et noir !
Sur de doux poteaux blancs des noms charmants vont luire.
Oh ! lire Chemin de Saint-Cloud ! au lieu de lire
(Il monte sur une pierre pour lire l’écriteau.)
Route de Grosshofen !
Route de Grosshofen !(Tout d’un coup se souvenant.)
Route de Grosshofen !Tiens ! mais… mon régiment
Se rend à Grosshofen, à l’aurore !

FLAMBEAU.

Se rend à Grosshofen, à l’aurore !Comment ?

LE DUC.

J’ai donné l’ordre hier, quand j’ignorais encore…

FLAMBEAU.

Nous serons loin lorsqu’ils passeront, à l’aurore.

(Un homme sort de la petite cabane, un vieux paysan, à barbe blanche, et manchot.)
LE DUC.

Cet homme ?

FLAMBEAU.

Cet homme ?Il est à nous. Sa cabane nous sert
De rendez-vous. — Ancien soldat. Dans ce désert
Explique la bataille aux étrangers.