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Allez être une femme au palais de Sala !
Mais dites-vous, dites-vous bien, et que cela
Soit la revanche amère et triste de sa gloire,
— Veuve qui n’a pas su garder la robe noire ! —
Dites-vous, désormais, qu’on ne fait les yeux doux
Qu’au prestige immortel qu’il a laissé sur vous,
Et que vous n’êtes belle, et que vous n’êtes blonde,
Que parce qu’autrefois il a conquis le monde !

MARIE-LOUISE, atteinte au plus sensible.

Mais… Bombelles, venez !… ne restons pas ici !

LE DUC.

Retournez à Sala ! Je suis sauvé ! Merci !

MARIE-LOUISE, qui va pour sortir, suivie de Bombelles.

Adieu, Monsieur !

LE DUC, immobile, ne les regardant plus.

Adieu, Monsieur !Ô mains, mains froides, dans la tombe,
Ô mains tristes encor de leur anneau qui tombe,
Mains où posa le front de celle qui jadis
Sanglotait parce que je n’étais pas son fils,
Mais dont je sens les doigts sur mon âme orpheline,
Je vous baise en pleurant, ô mains de Joséphine !

MARIE-LOUISE, à ce nom se retourne, et laissant éclater une haine de femme.

La Créole !… Et crois-tu donc qu’à la Malmaison
Elle n’a pas ?…

(Et l’on sent que tous les racontars vont défiler…)
LE DUC, d’une voix terrible.

Elle n’a pas ?…Silence !

(Elle recule intimidée, se tait ; et lui reprend avec force :)

Elle n’a pas ?…Silence !Ah ! si c’est vrai, raison
De plus, raison de plus pour moi d’être fidèle !…

(Marie-Louise gagne la sortie de droite, quittant la fête avec Bombelles. Et le duc reste là transformé, redressé, frémissant d’indignation et d’énergie, — sauvé comme il vient de le dire. Ce n’est plus, ainsi que tout à l’heure, l’être d’ennui et de volupté, le blondin d’une grâce perverse : c’est, de nouveau, le jeune homme ardent et douloureux. À ce moment reparaît Metternich, achevant sa conversation avec Sedlinsky.)