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« Sur tant de champs où tant de fois nous triomphâmes,
« Cela te sert à quoi, petit ? » — « À plaire aux femmes ! »
C’est beau, sur le Prater, parmi les voiturins,
De monter un cheval de trois mille florins
Que l’on peut appeler Iéna ! C’est une aigrette
Certaine, qu’Austerlitz, aux yeux d’une coquette !…

PROKESCH.

Vous n’aurez pas le cœur, ainsi, de la porter !

LE DUC.

Mais si, mais si, mon cher, et je ferai monter
— Car c’est, sur un amant, une chose qui flatte ! —
L’aigle rapetissée en épingle à cravate !
(L’orchestre, qui s’était tu un moment, reprend au loin.)
De la musique !… Et tu n’es plus, fils de César,
Qu’un Don Juan de Mozart !
Qu’un Don Juan de Mozart !(Ricanant.)
Qu’un Don Juan de Mozart !Pas même de Mozart
De Strauss !
De Strauss !(Il salue gravement Prokesch.)
De Strauss !Je vais valser.
(Et pirouettant avec une gaieté désespérée.)
De Strauss !Je vais valser.Il faut que je devienne
Inutile et charmant, comme un objet de Vienne !

(Il va sortir, il s’arrête en voyant paraître l’Archiduchesse.)

Ma tante… Tiens ?…

PROKESCH, épouvanté de l’éclair trouble de ses yeux.

Ma tante… Tiens ?…Oh ! non, pas cela !

LE DUC, du coin mauvais de la bouche.

Ma tante… Tiens ?…Oh ! non, pas cela !Je veux voir.

(Et repoussant Prokesch qui s’écarte à regret, il s’avance d’un pas traînant vers l’Archiduchesse. L’Archiduchesse porte un costume très simple : jupe courte, corsage à basques, fichu, tablier, bonnet ; enfin, tout à fait pareille au fameux tableau de Liotard, elle tient avec conviction devant elle un petit plateau sur lequel sont posés une tasse de chocolat et un verre d’eau.)