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Je veux aimer, aimer,
(De son poing fermé, il frappe rageusement sa lèvre.)
Je veux aimer, aimer,écraser avec haine,
Sous des baisers d’amour cette lèvre autrichienne !

PROKESCH.

Monseigneur !

LE DUC, parlant avec une volubilité fiévreuse.

Monseigneur !Mais, mon cher, à la réflexion,
C’est logique, Don Juan fils de Napoléon !
C’est la même âme, au fond, toujours insatisfaite,
C’est le même désir incessant de conquête !
Ô magnifique sang qu’un autre a corrompu
Et qui, voulant éclore en César, n’a pas pu,
Ton énergie en moi n’est donc pas toute morte :
Cela fait un Don Juan, lorsqu’un César avorte !
Oui, c’est une façon d’être encore un vainqueur !
Ainsi, je connaîtrai cette fièvre de cœur
Fatale, dit Byron, à ceux qu’elle dévore…
Et c’est une façon d’être mon père encore !
— Bah ! qui sait, après tout, s’il est plus important
De conquérir le monde ou d’aimer un instant ?
Soit ! soit ! c’est bien qu’ainsi finisse la Légende,
Et que ce conquérant de cet autre descende !
Soit ! je serai le reflet blond du héros brun,
Qui s’en allait les battant tous l’un après l’un,
Et tandis que je les vaincrai l’une après l’une,
Mes soleils d’Austerlitz seront des clairs de lune !

PROKESCH.

Ah ! taisez-vous, car c’est trop tristement railler !

LE DUC.

Oui, je sais bien, j’entends des spectres me crier,
Spectres aux habits bleus, tordus par la rafale :
« Eh bien ! alors, cette épopée impériale ?…
« Nos travaux, nos clairons, la gloire ?… Eh bien ! alors,
« Cette neige, ce sang, l’Histoire… et tant de morts