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Sur ton splendide petit trône impérial
Un être de malheur, d’ombre et d’Escurial !
Et si, lorsque plus tard, je serai sur ce trône,
Le Passé m’allongeant dans l’âme sa main jaune,
Venait y déterrer, de ses ongles hideux,
Je ne sais quel Rodolphe ou quel Philippe Deux ?…
J’ai peur qu’au bruit flatteur et doré des abeilles,
Monstre qui dors peut-être en moi, tu te réveilles !

PROKESCH, riant.

Mais voyons, Monseigneur, vous êtes fou !

LE DUC, tressaillant, et avec un regard qui fait reculer Prokesch.

Mais voyons, Monseigneur, vous êtes fou !Tu crois ?

PROKESCH, comprenant l’angoisse du prince.

Bonté du ciel !

LE DUC, lentement.

Bonté du ciel !Au fond de leurs châteaux de rois,
Dans leur retraite castillane ou bohémienne,
Ils ont tous eu la leur !… Quelle sera la mienne ?…
Voyons, décidons-le ! Je me résous, tu vois.
Mais voici le moment de choisir.
Mais voici le moment de choisir.(Avec un rire amer.)
Mais voici le moment de choisir.J’ai le choix.
Des aïeux prévenants m’ouvrent le catalogue !
Serai-je mélomane ? oiseleur ? astrologue ?
Marmonneur d’oremus ? ou souffleur d’alambic ?

PROKESCH.

Je ne comprends que trop ce qu’a fait Metternich !
(Baissant la voix.)
Des malheureux Habsbourg, il vous dressa la liste ?

LE DUC.

Ah ! dame, ils ont tous eu la démence un peu triste !
Mais des parfums mêlés font des parfums nouveaux,
Et mon cerveau, bouquet de ces sombres cerveaux,
Va peut-être en produire une autre, plus jolie !
Voyons, quelle sera la mienne, de folie ?
Eh ! pardieu, mes penchants vaincus jusqu’à ce jour
Nous le disent assez : moi, ce sera l’amour !