Page:Rostand, L’Aiglon, 1922.djvu/153

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans lesquels d’autres yeux, déjà vus dans des cadres,
Rêvent à des bûchers ou pleurent des escadres !
Et vous, si scrupuleux, si consciencieux,
Osez aller régner en France, avec ces yeux !

LE DUC, balbutiant pour se rassurer.

Mais, mon père…

METTERNICH, d’une voix implacable.

Mais, mon père…Vous n’avez rien de votre père !

(Et ramenant de force vers la glace le candélabre que la main crispée du duc ne lâche plus.)

Mais cherchez ! cherchez donc ! approchez la lumière !
— Il a voulu, jaloux de notre sang ancien,
Venir nous le voler pour en vieillir le sien ;
Mais ce qu’il a volé, c’est la mélancolie,
C’est la faiblesse, c’est…

LE DUC.

C’est la faiblesse, c’est…Non, je vous en supplie !

METTERNICH.

Regardez-vous pâlir dans le miroir !

LE DUC.

Regardez-vous pâlir dans le miroir !Assez !

METTERNICH.

Sur votre lèvre, là, vous la reconnaissez,
Cette moue orgueilleuse et rouge de poupée ?
C’est celle qu’eut, en France, une tête coupée :
Car ce qu’il a volé, c’est aussi le malheur !
— Mais haussez donc le candélabre !

LE DUC, défaillant.

— Mais haussez donc le candélabre !Non ! j’ai peur !

METTERNICH, presque à son oreille.

Peux-tu te regarder, la nuit, dans cette glace,
Sans voir, derrière toi, monter toute ta race ?
— Vois, c’est Jeanne la Folle, au fond, cette vapeur !
Et ce qui, sous la vitre, arrive avec lenteur,
C’est la pâleur du roi dans son cercueil de verre !…

LE DUC, se débattant.

Non ! non ! c’est la pâleur ardente de mon père !