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Scène X

METTERNICH, LE DUC
LE DUC, à Metternich, d’un ton presque menaçant.

Et demain, pas un mot au préfet de police !

METTERNICH, avec un sourire.

Je ne raconte pas les tours qu’on m’a joués.

(Et tandis que le Duc, lui tournant le dos, se dirige vers sa chambre, il continue nonchalamment :)

Que m’importent d’ailleurs vos grognards dévoués ?
Vous n’êtes pas Napoléon.

LE DUC, qui déjà rentrait chez lui, s’arrêtant, hautain.

Vous n’êtes pas Napoléon.Qui le décrète ?

METTERNICH, montrant le petit chapeau sur la table.

Vous avez le petit chapeau, mais pas la tête.

LE DUC, avec un cri de douleur.

Ah ! vous avez encor trouvé le mot qu’il faut
Pour dégonfler l’enthousiasme !… Mais ce mot
Ne sera pas cette fois-ci le coup d’épingle
Qui crève, ce sera le coup de fouet qui cingle !
Je me cabre, et m’emporte aux orgueils les plus fous !
Pas la tête, m’avez-vous dit ?…
(Il marche sur Metternich, et les bras croisés :)
Pas la tête, m’avez-vous dit ?…Qu’en savez-vous ?

METTERNICH, contemple un instant ce prince dressé la devant lui, dans sa rage juvénile plein de confiance et de force, puis, d’une voix coupante :

Ce que j’en sais ?…

(Il prend sur la table le candélabre allumé, va vers la grande psyché, et haussant la lumière.)

Ce que j’en sais ?…Regardez-vous dans cette glace !
Regardez la longueur morne de votre face !
Regardez ce fardeau si lourd d’être si blond,
Ces accablants cheveux… mais regardez-vous donc !

LE DUC, ne voulant pas aller à la glace, et s’y regardant, malgré lui, de loin.

Non !

METTERNICH.

Non !Mais tout un brouillard fatal vous accompagne !