De ta simplicité qui n’était qu’une pose,
De ta joie, au milieu des diadèmes d’or,
À n’être insolemment qu’un morceau de castor ;
À cause de la main rageuse et volontaire
Qui t’arrachait parfois pour te lancer à terre ;
De tous mes cauchemars que dix ans tu peuplas ;
Des saluts que moi-même ai dû te faire, plats ;
Et, quand pour le flatter je cherchais l’épithète,
Des façons dont parfois tu restas sur sa tête !
(Et tous ces souvenirs lui remontant, il continue, dans une explosion de haine clairvoyante)
Vainqueur, neuf, acclamé, puissant, je t’ai haï,
Et je te hais encor vaincu, vieux et trahi !
Je te hais pour cette ombre altière et péremptoire
Que tu feras toujours sur le mur de l’histoire !
Et je te hais pour ta cocarde arrondissant
Son gros œil jacobin tout injecté de sang ;
Pour toutes les rumeurs qui de ta conque sortent,
Grand coquillage noir que les vagues rapportent,
Et dans lequel l’oreille écoute, en s’approchant,
Le bruit de mer que fait un grand peuple en marchant !
Pour cet orgueil français que tu rendis sans bornes,
Bicorne qui leur sert à nous faire les cornes !
(Il a rejeté le chapeau sur la table et penché maintenant sur lui :)
Et je te hais pour Béranger et pour Raffet,
Pour les chansons qu’on chante, et les dessins qu’on fait,
Et pour tous les rayons qu’on t’a cousus, dans l’île !
Je te hais ! je te hais ! et ne serai tranquille
Que lorsque ton triangle inélégant de drap,
Râpé de sa légende enfin, redeviendra
Ce qu’en France il n’aurait jamais dû cesser d’être :
Un chapeau de gendarme ou de garde champêtre !
Je te…
(Il s’arrête, saisi par le silence, l’heure, le lieu. Et avec un sourire un peu troublé.)
Mais tout d’un coup… C’est drôle… Le présent
Imite le passé, parfois, en s’amusant…
(Passant la main sur son front.)
De te voir là, comme une chose familière,
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