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Je n’ai plus peur.
Je n’ai plus peur.(Il touche du doigt et riant avec impertinence :)
Je n’ai plus peur.Voici le bout de cuir solide
Par lequel on pouvait, sans trop te déformer,
T’enlever, tout le temps, pour se faire acclamer !
— Toi, dont il s’éventait après chaque conquête,
Toi, qui ne pouvais pas, de cette main distraite,
Tomber sans qu’aussitôt un roi te ramassât,
Tu n’es plus aujourd’hui qu’un décrochez-moi ça,
Et si je te jetais, ce soir, par la croisée,
Où donc finirais-tu, vieux bicorne ?

FLAMBEAU, dans l’ombre, à part.

Où donc finirais-tu, vieux bicorne ?Au musée.

METTERNICH, tournant le chapeau dans ses mains.

Le voilà, ce fameux petit !… Comme il est laid !
On l’appelle petit : d’abord, est-ce qu’il l’est ?
(Haussant les épaules et de plus en plus rancunier.)
Non. — Il est grand. Très grand. Énorme. C’est en somme
Celui, pour se grandir, que porte un petit homme !…
— Car c’est d’un chapelier que la légende part :
Le vrai Napoléon, en somme…
(Retournant le chapeau et l’approchant de la lumière pour lire, au fond, le nom du chapelier :)
Le vrai Napoléon, en somme…C’est Poupart !
(Et tout d’un coup, quittant ce ton de persiflage)
— Ah ! ne crois pas pour toi que ma haine s’endorme !
Je t’ai haï, d’abord, à cause de ta forme,
Chauve-souris des champs de bataille ! chapeau
Qui semblais fait avec deux ailes de corbeau !
À cause des façons implacables et nettes
Dont tu te découpais sur nos ciels de défaites,
Demi-disque semblant sur le coteau vermeil
L’orbe à demi monté de quelque obscur soleil !
À cause de ta coiffe où le diable s’embusque,
Chapeau d’escamoteur qui posé, noir et brusque,
Sur un trône, une armée, un peuple entier debout,
Te relevais, ayant escamoté le tout !
À cause de ta morgue insupportable ; à cause