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METTERNICH, lui offrant son bras pour l’aider à se lever.

Il me cause !Venez…

L’EMPEREUR, qui maintenant marche courbé, appuyé sur sa canne.

Il me cause !Venez…Oui… ce soir…

METTERNICH.

Il me cause !Venez…Oui… ce soir…Cette scène
Ne peut se reproduire !

L’EMPEREUR.

Ne peut se reproduire !Elle m’a fait du mal !
— Oh ! cet enfant !…

METTERNICH, l’emmenant.

— Oh ! cet enfant !…Venez…

(Ils sortent. On entend encore la voix de
L’EMPEREUR, qui répète, plaintive et machinale.)

— Oh ! cet enfant !…Venez…Cet enfant !…

(Puis plus rien. La nuit est venue tout à fait. Le parc est profondément bleu. Le clair de lune s’est arrêté sur le balcon.)



Scène V

LE DUC, seul.


(Il entr’ouvre tout doucement la porte de sa chambre. Il regarde si l’Empereur et Metternich sont partis. Il cache quelque chose derrière son dos. Il écoute un instant : le palais est silencieux ; par la fenêtre ouverte, il ne monte du parc qu’une fanfare affaiblie de retraite autrichienne, qui s’éloigne dans les arbres. Le duc découvre l’objet qu’il tient : c’est un des petits chapeaux de son père. Il descend, le portant religieusement, et, sur le coin de la table que couvre une grande carte d’Europe à demi déroulée, il le pose d’un geste décidé, en disant à mi-voix :)

— Oh ! cet enfant !…Venez…Cet enfant !…Le signal !

(Les appels de trompettes achèvent de mourir au loin. Le duc rentre dans sa chambre. Derrière lui, le clair de lune envahit la pièce, installe son mystère, glisse jusqu’à la table que soudain, il éclaire vivement. Alors, sur la blancheur éblouissante de la carte, le petit chapeau devient excessivement noir.)