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LE DUC, immobile, les yeux fixes.

Dans le grand nécessaire…Où ? Quels encriers ?Sire,
Ceux que mon père m’a laissés !

L’EMPEREUR, tressaillant.

Ceux que mon père m’a laissés !Que veux-tu dire ?

LE DUC.

Oui… par son testament !
(Il désigne encore un coin de la console sur lequel il n’y a rien.)
Oui… par son testament !Et là, les pistolets,
Les quatre pistolets de Versailles, — ôtez-les !

L’EMPEREUR, frappant sur la table.

Ah ! çà !

LE DUC.

Ah ! çà !Ne frappez pas la table avec colère
Vous avez fait tomber le glaive consulaire !

L’EMPEREUR, avec effroi regardant autour de lui.

Je ne vois pas tous ces objets…

LE DUC.

Je ne vois pas tous ces objets…Ils sont présents !
« Pour remettre à mon fils lorsqu’il aura seize ans ! »
On ne m’a rien remis !… Mais malgré l’ordre infâme
Qui les retient au loin, je les ai : j’ai leur âme…
L’âme de chaque croix et de chaque bijou !
Et tout est là : j’ai les trois boîtes d’acajou,
J’ai tous les éperons, toutes les tabatières,
Les boucles des souliers, celles des jarretières ;
J’ai tout, l’épée en fer et l’épée en vermeil,
Et celle dans laquelle un immortel soleil
A laissé tous ses feux emprisonnés, de sorte
Qu’on craint, en la tirant, que le soleil ne sorte !
J’ai là les ceinturons, je les ai tous les six !…

(Et sa main indique, à droite, à gauche dans la pièce, à des places vides, les invisibles objets)
L’EMPEREUR, épouvanté.

Taisez-vous ! taisez-vous !

LE DUC.

Taisez-vous ! taisez-vous !« Pour remettre à mon fils