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LE DUC.

Tu crois ?

L’EMPEREUR.

Tu crois ?D’où tenez-vous l’art des gamineries ?

LE DUC.

Mais c’est d’avoir joué, petit, aux Tuileries.

L’EMPEREUR, le menaçant du doigt.

Ah ! vous y revenez ?

LE DUC.

Ah ! vous y revenez ?J’y voudrais revenir.

L’EMPEREUR, fixant gravement l’enfant agenouillé.

En avez-vous gardé vraiment le souvenir ?

LE DUC.

Vague…

L’EMPEREUR, après une seconde d’hésitation.

Vague…Et de votre père ?

LE DUC, fermant les yeux.

Vague…Et de votre père ?Il me souvient d’un homme
Qui me serrait, très fort, — sur une étoile. Et comme
Il serrait, je sentais, en pleurant de frayeur,
L’étoile en diamants qui m’entrait dans le cœur.
(Il se lève et fièrement.)
— Sire, elle y est restée.

L’EMPEREUR, lui tendant la main.

— Sire, elle y est restée.Est-ce que je t’en blâme ?

LE DUC, avec chaleur.

Oui, oui, laissez parler la bonté de votre âme !
Lorsque j’étais petit, vous m’aimiez, n’est-ce pas ?
Vous vouliez avec moi prendre tous vos repas.
Nous dînions tous les deux, tout seuls…

L’EMPEREUR, rêvant.

Nous dînions tous les deux, tout seuls…C’était un charme !

LE DUC.

J’avais de longs cheveux. J’étais prince de Parme.
(Il s’assied sur le bras du fauteuil.)
Quand on me punissait, toi, tu me pardonnais !

L’EMPEREUR, souriant.

Et te rappelles-tu ton horreur des poneys ?